2022 – Sophie Timmermans

Le Conseil de la Fondation Prix Henry Dunant est heureux d’attribuer le Prix Henry Dunant – Recherche pour l’année 2022 à Mme Sophie Timmermans pour son mémoire : Addressing the non-homogenous nature of the civilian population in the conduct of hostilities: Enhanced protection through differentiation.

Les membres du jury ont relevé que Mme Timmermans s’est attaquée à une question qui est à la fois intemporelle et d’une grande actualité.  Intemporelle, car la question du sort des plus vulnérables s’est posée dans toutes les guerres.  D’une grande actualité, car cette question se pose avec une dramatique acuité dans les conflits actuels, de l’Ukraine à l’Afghanistan, la Syrie, la République démocratique du Congo, le Sahel, etc.

Les membres du jury ont également relevé l’originalité de la démarche.  En effet, la question des régimes de protection spéciale en faveur de catégories déterminées de victimes de la guerre au regard du droit de la captivité ou du droit de l’occupation a donné lieu à une abondante littérature.   En revanche, la question des implications de régimes de protection spéciale au regard du droit de la conduite des hostilités n’a pas reçu jusqu’ici l’attention qu’elle méritait.

Mme Timmermans n’a pas examiné cette question uniquement au regard de la protection des femmes ; elle étudie également les autres formes de vulnérabilités, notamment celle des enfants, des personnes en situation de handicap, des personnes âgées, etc.

Les membres du jury ont relevé que Mme Timmermans avait soigneusement analysé cette question aussi bien au regard du droit international humanitaire qu’au regard des droits humains, et que l’auteure avait su mettre en lumière les interactions entre ces deux branches du droit et leur complémentarité.

En outre, ce mémoire est soutenu par une thèse : dans la conduite des hostilités, les belligérants doivent tenir compte du fait que la population civile n’est pas homogène et du fait que différents groupes bénéficient d’un régime de protection spéciale (« enhanced protection ») au titre de leur vulnérabilité.

Enfin, il est évident que ce mémoire correspond parfaitement aux critères d’attribution du Prix Henry Dunant, puisque la lutte contre les discriminations et la protection des plus vulnérables ont été au cœur des combats menés par Henry Dunant.  Il y a plus : en appelant les belligérants à mieux prendre en compte les régimes de protection spéciale dans la conduite des hostilités, Mme Timmermans se situe dans le droit-fil des combats menés par Henry Dunant.

Le Prix Henry Dunant – Recherche 2022 a été remis dans le cadre de la cérémonie de remise des diplômes de l’Académie du droit international humanitaire et des droits humains, le vendredi 28 octobre 2022.

Résumé du mémoire

Les conflits armés contemporains portent atteinte et affectent les civils de manières diverses. Ces préjudices et ces souffrances doivent toujours être évalués du point de vue des vulnérabilités de la personne ou de la communauté qu’ils affectent. Les principes et les règles sur la conduite des hostilités concentrent néanmoins leur protection sur les « civils » et la « population civile » dans son ensemble. Même si l’approche universaliste du DIH ne reconnaît pas les différences au sein de la population civile, les vulnérabilités préexistantes des civils et de certains groupes entraînent un impact variable de la violence en pratique.  Il est donc crucial que la protection apportée reflète les besoins spécifiques des individus concernés, ce qui nécessite de prendre en compte les éléments qui engendrent des vulnérabilités singulières et interconnectées. Ce mémoire cherche à expliquer dans quelle mesure les différentes caractéristiques de la population civile peuvent et doivent être prises en compte dans l’interprétation et l’application des principes sur la conduite des hostilités.

La première section du document donne un aperçu des distinctions et différenciations qui font déjà partie du DIH. Celle-ci explique l’interdiction de la distinction défavorable, les distinctions favorables autorisées, ainsi que les vulnérabilités des civils dans les conflits armés. Ensuite, le document continue en expliquant l’équivalent de l’interdiction de la distinction défavorable en droit international (la non-discrimination et l’égalité en droits humains) et la manière dont cela influence l’interprétation de l’interdiction en droit international humanitaire.

La dernière partie du document examine comment les différentes caractéristiques des civils peuvent être prises en compte et comment la différenciation dans l’interprétation et l’application des principes de la conduite des hostilités peut être utilisée afin de mieux protéger les civils. Tout d’abord, les positions sur l’applicabilité de l’interdiction de la distinction défavorable pendant la conduite des hostilités est exposée. Ensuite, l’auteur fait valoir qu’il existe de nombreux cas où les caractéristiques des civils jouent un rôle dans l’interprétation et l’application des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution. L’auteur conclut qu’une idéologie de l’identité et des présupposés moraux sous-entendent la notion de « civil », excluant ainsi des personnes de l’immunité civile ou de l’évaluation de la proportionnalité en fonction de leur sexe et de leur âge. En outre, il explore les catégories de civils susceptibles de subir le plus de dommages et dont les dommages sont parfois invisibles, et la manière dont cela peut être pris en compte dans l’évaluation de la proportionnalité. Enfin, il explore comment les précautions peuvent être plus efficaces lorsque les différentes caractéristiques de la population civile sont prises en compte. La section conclut en soutenant que, dans certains cas, il y aurait un devoir de différenciation qui se doit d’être basé sur des données adéquates, fiables et désagrégées. Enfin, elle souligne certains défis liés au fait de traiter la population civile comme non homogène en raison du risque de stéréotypes, les difficultés de collecte et d’utilisation de données désagrégées et les défis opérationnels dans les conflits armés.

Dans sa conclusion, le mémoire affirme que le fait d’aborder les différentes caractéristiques des civils permet de mettre en évidence l’influence des idéologies et des hypothèses morales, ainsi que d’identifier les catégories de civils qui subissent le plus de dommages, et ceux dont les souffrances sont parfois invisibles. L’auteur suggère que la compréhension accrue de ces différences par les parties, les moyens de les prendre en compte et leur capacité à le faire amélioreront la protection de la population civile dans la conduite des hostilités.

Biographie

Sophie Timmermans est titulaire d’un LLB et d’un LLM de l’Université d’Anvers. En raison de son intérêt pour le droit humanitaire international et les droits humains elle a décidé de poursuivre un LLM à l’Académie de Genève. Ces dernières années, elle a participé à des activités dans le domaine du contrôle des armes, le désarmement, et l’utilisation des armes. Pendant ses études à l’Académie, Sophie a pu poursuivre un stage auprès du Small Arms Survey, ainsi que la Représentation Permanente de la Belgique auprès des Nations Unies.

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