2020 – Yulia Mogutova

Le Prix Henry Dunant recherche pour l’année 2020 est décerné à Mme Yulia Mogutova pour son mémoire: Mind the Gap: Right to Life of States’ Own Military Personnel in Conduct of Hostilities.

Les membres du jury ont considéré que Mme Mogutova s’était attaquée à un sujet difficile : la question de la protection du droit à la vie des membres des forces armées par rapport à l’État dans les forces armées duquel ils servent. Traditionnellement, en effet, le droit humanitaire a été conçu dans les rapports entre un État et les membres des forces armées ou de la population civile de l’État ennemi.  Sous réserve des situations de conflits armés non internationaux, le droit humanitaire ne s’interpose pas entre un État et les membres de ses propres forces armées.  Le mémoire de Mme Mogutova rappelle en revanche qu’un individu ne perd pas le bénéfice des droits de l’homme lorsqu’il s’enrôle ou lorsqu’il est enrôlé dans les forces armées.  Elle relève en outre que la clause dite « de Martens », fait entrer les droits de l’homme dans le champ du droit humanitaire.  Ainsi, le mémoire de Mme Mogutova projette un éclairage original sur une question essentielle et d’une grande actualité : l’articulation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme.

En outre, ce mémoire touche au cœur du combat d’Henry Dunant : la protection de la vie des soldats.

Le Prix Henry Dunant recherche 2020 sera remis dans le cadre de la cérémonie de remise des diplômes de l’Académie du droit international humanitaire et des droits humains le vendredi 30 octobre 2020 à 18 h 30 à la Maison de la Paix, Auditorium Ivan Pictet.

Résumé du mémoire

Le mémoire se concentre sur la question spécifique du droit à la vie applicable au personnel militaire d’un État dans la conduite des hostilités. La principale controverse sur ce sujet est que, même si le droit à la vie de chacun est protégé en temps de paix tout comme en temps de conflits armés, les soldats sont toujours considérés comme des agents étatiques responsables de la violation des droits d’autrui plutôt que comme des détenteurs de droits ou des victimes de violations. L’auteur du mémoire tente de contester cette méprise courante en examinant les origines communes des deux régimes juridiques pertinents, à savoir le droit international humanitaire (DIH) et le droit international des droits de l’homme (DIDH).

La première partie du travail présente une analyse détaillée des obligations de l’État en matière de droits humains envers son propre personnel militaire. À travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et des tribunaux nationaux (la Cour suprême du Royaume-Uni), l’auteur analyse le contenu et la portée du droit à la vie des soldats en temps de paix et en temps de guerre, ainsi que son application dans des opérations militaires à l’étranger et ses limites. L’auteur en arrive à la conclusion que, d’une part, les particularités du service militaire ne dérogent pas aux obligations de l’État de protéger la vie de ses soldats tant en temps de paix que dans le cadre de conflits armés.  D’autre part, toutes ces obligations ne sont pas soumises aux exigences de considérations relatives aux services militaires. À savoir, l’obligation d’enquêter sur les décès suspects ou les allégations de violation du droit à la vie devrait s’appliquer équitablement aux soldats et aux civils en temps de conflit armé et en temps de paix.

Dans la seconde partie, l’auteur analyse l’évolution de la protection humanitaire et les principes fondamentaux du DIH afin de démontrer que la protection de la vie des combattants n’est pas en contradiction avec le régime juridique du DIH. Premièrement, il est démontré la façon dont les normes cardinales du DIH, telles que le principe d’humanité, la clause Martens et l’article 3 commun englobent la protection des forces armées de l’État.

Deuxièmement, l’auteur fait valoir que la protection de la vie du combattant est inhérente au DIH et peut être attribuée au principe de la nécessité militaire et aux limites existantes des moyens et méthodes de guerre. Néanmoins, il a été conclu que même si le droit à la vie est garanti, tous les devoirs de retenue visent à protéger les combattants ennemis tandis que le DIH reste muet sur les obligations envers le personnel militaire de l’État dans la conduite des hostilités.

Pour conclure, l’auteur examine l’implication pratique de la protection du droit à la vie du personnel militaire. Premièrement, elle conclut qu’une telle protection est favorable pour assurer le respect du DIH et démontre par un exemple concret que la bonne exécution des obligations de l’État vis-à-vis de ses propres militaires a un impact direct sur la protection de la population civile. Ensuite, elle conteste le possible contre-argument selon lequel une telle protection peut être utilisée à mauvais escient par les États en utilisant l’exemple de l’évaluation de la proportionnalité dans la conduite des hostilités.

L’auteur conclut que le droit à la vie du personnel militaire des États est une illustration archétypique du rôle et de l’impact du DIDH pour combler le vide de protection en vertu du DIH. On ne peut pas attendre des forces armées qu’elles respectent le DIH et le DIDH si leurs propres droits ne sont pas garantis. Elle suggère que l’inclusion d’un élément obligatoire des droits humains dans la formation militaire améliorerait le respect général du DIH et du DIDH dans les conflits armés.

Biographie

Yulia Mogutova est titulaire d’une licence en International Energy Law de l’Université Kutafin Moscow State en Russie (2015). Elle a ensuite travaillé dans les secteurs privé et académique avant de rejoindre le Comité International de la Croix Rouge (CICR), où pendant trois ans elle était conseillère juridique pour la Délégation Régionale pour la Fédération de Russie, la Biélorussie et la Moldavie.  Elle y développa un intérêt marqué et une passion pour le Droit Humanitaire International (DIH) et l’action humanitaire. Cette expérience la motiva pour s’enrôler à la Geneva Academy of IHL and Human Rights où elle reçoit son LLM en DIH et Droits Humains en 2020. Ces jours, elle a commencé son PhD à l’Université de Genève et travaille comme Teaching Assistant à la Geneva Academy.

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